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L'excellence passe par la réforme de l'éducation et du fédéralisme


Il y a 150 ans, nos ancêtres plongeaient dans la révolution industrielle. Le chemin de fer mettait la ville à trois heures de la campagne, la vapeur allait révolutionner l'industrie manufacturière. En 2006, nous vivons au rythme de l'information instantanée. Internet et les autres médias électroniques engendrent une grande transparence globale. Notre système de référence, après avoir été local, puis régional, est devenu planétaire.

Il en résulte une formidable poussée technologique, éducative et commerciale, qui multiplie les articles de qualité à bas prix et produit déjà des élites techniques et financières égales ou supérieures aux nôtres, mais à des salaires défiant toute concurrence. La Chine et l'Inde n'ont pas seulement des taux de croissance époustouflants, mais leurs produits – fabriqués par des ingénieurs de plus en plus compétents – sont de plus en plus fiables.

L'Asie n'est pas le seul continent en mouvement. En Europe même, les pays du futur se profilent. Face à une France et une Italie asphyxiées par leur chômage, a-t-on assez pris conscience de la volonté d'innovation et de l'esprit d'entreprise qui animent les pays de l'Est européen? Hongrie, Slovaquie ou Pologne – dont le seul véritable atout est la qualité de leur formation – s'adaptent à toute allure.

C'est en Estonie, nouvelle Silicon Valley de la Baltique, que se sont développées les deux plus belles start- up européennes de ces dernières années: Skype (téléphone gratuit via Internet) et Playtech, qui vient de réaliser une entrée remarquée en Bourse de Londres (plus d'un milliard de dollars)...

C ette évolution brutale nous confronte à un choix incontournable. Soit tenter à tout prix de conserver les avantages sociaux, comme la France, et voir le niveau de vie baisser rapidement, soit nous développer et atteindre en tout l'excellence qui, seule, garantit une haute valeur ajoutée. Alors que la gauche évoque une société à deux vitesses et freine le développement de nos économies, les élites des pays du BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – agissent et font passer leurs pays du Moyen Age au futur à une vitesse record.

Il est temps de nous remettre en question et de retrouver les valeurs traditionnelles qui ont fait la force de la Suisse. Nos ingénieurs sont toujours aussi bons, mais leurs collègues de l'Est et de l'Asie les rattrapent, voire les dépassent. Nous sommes fiers de parler nos langues nationales, mais la maîtrise de l'anglais – désormais langue universelle – n'est pas suffisante. Sans vouloir, à tout prix, rejoindre une Europe figée dans ses contradictions, notre intégration écopolitique aux nouvelles exigences mondiales devient urgente.

Seul pays tolérant 26 gouvernements pour 7 millions d'habitants, notre cantonalisme outrancier asphyxie tous les développements. Non seulement des entreprises renoncent à venir s'établir en Suisse, telle Amgen. Mais certaines de nos industries, comme la pharma bâloise, délocalisent de plus en plus. Pire: elles ne délocalisent pas des emplois sans grande qualification mais, au contraire, leur recherche de pointe, handicapée chez nous par trop de pressions réglementaires ou écologistes.

Notre culture du compromis ne résiste pas aux attitudes conquérantes des élites étrangères. Notre système de milice ne résiste pas à la spécialisation qui prévaut ailleurs. Notre enseignement est bon, mais seule une poignée d'écoles, telles l'EPFZ, l'EPFL, l'Université de Saint-Gall et l'IMD, atteignent un niveau comparable aux meilleurs instituts étrangers.

Si nous voulons sauvegarder notre compétitivité – qui conditionne notre niveau de vie et le maintien d'un Etat social – il nous faut atteindre l'excellence. Cela passe par deux mesures essentielles: réformer l'éducation et réformer le fédéralisme. Quelle que soit la solution politique adoptée, il devient indispensable d'unifier l'éducation primaire et secondaire. Dans un pays actif à 75% dans le tertiaire, la nécessaire mobilité des cadres est freinée par des systèmes d'éducation spécifiques à chaque canton, qui rendent tout déménagement difficile pour les familles avec enfants.

De plus, la querelle de savoir si les enfants doivent apprendre une ou deux langues étrangères est ridicule. C'est avant dix ans qu'ils sont le plus réceptifs. Suisses ou étrangers, les enfants de diplomates le démontrent à l'évidence: outre leur langue maternelle, ils acquièrent facilement deux langues étrangères. Ce sont, hélas, les professeurs qui ne veulent ou ne peuvent pas faire l'effort nécessaire.

Pour 7 millions d'habitants, est-il réaliste d'avoir entre 8 et 10 universités, surtout si elles sont financées par des cantons aux moyens très inégaux? Gardons les campus existants, spécialisons-les, mais de grâce ayons une université en Suisse romande, deux en Suisse alémanique et donnons-leur les moyens d'être compétitives par rapport aux meilleurs instituts mondiaux. Les écoles polytechniques fédérales, elles, y sont bien parvenues.

Au niveau politique, le fédéralisme offre certes de nombreux avantages, dont il serait regrettable de se passer. Mais faut-il pour cela atomiser le pouvoir entre 26 cantons? Ou, plutôt, le concentrer sur cinq ou six régions? Notre système politique et éducatif engendre aujourd'hui un gaspillage phénoménal.

N ous dissertons encore sur le nombre de langues à enseigner, alors que les écoles privées qui pratiquent depuis longtemps le bilinguisme refusent du monde. Des pays naguère situés dans les profondeurs du classement des pays les plus compétitifs nous dépassent, telles la Finlande et l'Irlande. La qualité de vision prospective de nos gouvernants tend vers zéro et engendre un blocage permanent à tous les niveaux, qu'il s'agisse d'autoroutes, de nouvelles implantations industrielles, de création d'entreprises ou d'aménagement du territoire.

Sans excellence à tous les niveaux, la Suisse ne regagnera plus jamais la position dans le classement des nations les plus compétitives qui était la sienne il y a encore dix ans. Nos acquis culturels et économiques sont forts, notre démocratie éprouvée. Notre situation géographique est idéale. Notre population travaille dur.

Ce qui nous manque, c'est d'accepter de nous comparer aux meilleurs, de réformer nos systèmes pour les adapter au XXIe siècle et de nous inspirer des grands pionniers qui ont fait la Suisse moderne. Il suffit d'une petite étincelle pour que nous comptions à nouveau au nombre des meilleurs, sans pour autant perdre notre identité. Si nous le voulons, nous pouvons réussir.