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Tant d’hypocrisie autour des seniors


AVS. Travailler au-delà de la retraite? L’effet incitatif est inversement proportionnel à la solennité des déclarations.

Les politiciens, experts ou médias ne manquent pas une occasion d’encourager les seniors-électeurs-cotisants à renoncer le plus tard possible à la vie active et salariée. C’est bon pour le moral, les contingents d’immigration, mais l’objectif est surtout de venir en aide au système d’Assurance invalidité et survivants (AVS). Une composante importante de l’identité nationale (si elle existe), institution encore respectable qui ne sera bientôt plus capable de verser leurs rentes à des personnes ayant aujourd’hui, à 65 ans, une espérance de vie de près de 15 ans. Le compte est vite fait: au moment de la création de l’AVS dans les années d’après guerre, l’espérance de vie était à 65 de 2. Les gens disparaissaient en moyenne à 67 ans. Les hommes vivent aujourd’hui jusqu’à 80 ans, les femmes 85.

On pourrait donc penser que l’AVS a prévu quelques aménagements pour celles et ceux qui pensent travailler plus longtemps que 64 ou 65 ans. Des mesures en quelque sorte incitatives dans les très sérieuses circonstances qui nous attendent. C’est déjà le cas depuis longtemps jusqu’à 70 ans. Le paiement de la prestation peut être différé jusqu’à cet âge, sans cotisations pendant cinq ans, et avec une augmentation de la rente d’environ 30 % par la suite. Intéressant.

Tout se passe néanmoins comme s’il était inconcevable que des actifs le restent au-delà des 70 ans fatidiques (âge auquel vous êtes en principe viré des conseils d’administration des entreprises cotées et des entités publiques consultatives). Pour les dix années suivantes, l’approche suivie par l’AVS frise d’ailleurs l’escroquerie qualifiée. Non seulement il n’est plus possible de reporter plus longtemps le paiement de votre rente. L’AVS exige en plus le paiement des cotisations sur les salaires encaissés au-delà de 70, moins un petit abattement de quelques centaines de francs par année. En fait d’incitation, cela revient à dire que les personnes concernées reversent une partie de leur rente sous forme de cotisation à l’AVS!

Ayant travaillé jusqu’à l’âge de 78 ans, et ayant été forcé de recevoir ma rente à partir de 70, ce petit jeu absurde à donc duré huit ans dans mon cas. Et alors que la rente est immédiatement diminuée s’il manque une année ou deux années de cotisations (pendant des études par exemple), le fait que j’ai au contraire payé plusieurs années supplémentaires ne m’a pas valu la moindre rémunération additionnelle.

Cerise sur le gâteau: mon épouse ayant récemment atteint l’âge de la retraite, ma rente a été diminuée de 600 francs par mois au nom du sacro-saint splitting: les couples mariés n’ont-ils pas des besoins financiers moins élevés que les concubins? Qui reçoivent deux rentes complètes? Comment peut-on encore laisser les gens se marier?

Face à des évolutions lourdes et relativement rapides, le monde politique suisse tergiverse, rêve de solutions globales, de paquets technocratiques mettant des décennies à aboutir et quelques jours pour devenir obsolètes. En espérant peut-être que personne ne remarquera l’absurdité (sans même parler d’injustice crasse), et que les seniors auront assez de sens civique pour se taire. Si l’on veut vraiment qu’ils soient nombreux à rester actifs au-delà de 65 ans, au-delà de 70 si possible, il faudra bien cesser un jour de se plaindre que les vieux coûtent trop cher. En se racontant en plus des histoires sur la manière de les mettre au travail. Et se décider à proposer rapidement des solutions équitables et motivantes.